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vendredi 30 mai 2014

Dom Juan, une pièce Classique? 2/ Des tonalités classiques

Dom Juan est malgré tout un enfant du Classicisme

Le mouvement Classique estime que le rôle de la littérature est de «plaire et toucher», dans l'objectif d'instruire les hommes à la vertu. C'est ainsi qu'il met en scène, que ce soit dans la tragédie, ou dans la comédie, des personnages donnant dans la démesure et qui sont soumis à un traitement exemplaire. Nous verrons que, bien donnant à la fois dans la comédie et la tragédie, cette pièce, dans son propos général, est exemplaire, à plus d'un titre.


Une comédie de caractère et de moeurs « exemplaire »

Selon Molière, « le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les divertissant ». Par sa satire riante des défauts, des hommes mais aussi de la société, la comédie présente au public des sujets de réflexion morale et philosophique. Il s'agit pour le dramaturge, « d'attaquer par des peintures ridicules, les vices de mon siècle. » En ceci, Dom Juan est véritablement une peinture provocante des mœurs de son époque, et si elle présente un protagoniste de haute naissance, et non un bourgeois comme il est d'usage pour ce genre théâtral, par son sujet et sa fin « heureuse », qui voit le châtiment du libertin rétablir l'ordre et la morale, Dom Juan est bien la comédie « exemplaire » qui est annoncée.

Une comédie de caractère est centrée sur une personnalité complexe, affecté d'un vice dangereux et destructeur qui l'exclut du monde, comme le sont l'Avare, le Misanthrope, Le malade imaginaire, Le Bourgeois Gentilhomme, Tartuffe. Ainsi Dom Juan nous présente un noble dévoyé, oisif et libertin, athée, qui se défie des conventions sociales, du mariage comme du caractère sacré de la parole, du respect dû à son rang, à ses ancêtres, à son père, comme de celui que tout homme, qu'il soit « homme d'honneur » ou « honnête homme » doit à l'Eglise et à Dieu. Dom Juan, « épouseur à toutes mains », qui sans distinction se marie avec « Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne », et athée, est « un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. " Sa passion pour les femmes, et son peu d'attachement au sacrement du mariage, et à tout ce que ce dernier représente comme norme sociale prédominante, l'isolent progressivement et font de lui un intrus, un individu indésirable, qu'on doit neutraliser ou faire disparaître. S'il est oppressé de toutes parts, et acculé à faire paraître son repentir pour les actions passés, Dom Juan affirme sa volonté de poursuivre son mode de vie, ce qui provoque sa perte brutale et rapide. La pièce, en ce sens, nous offre donc bien une satire de l'hypocrisie du libertin, qui use du langage comme d'un masque et se joue de tous ses interlocuteurs pour en tirer le parti qu'il souhaite. Le portrait du « grand seigneur méchant homme », séducteur sadique, veule et indigne fils menteur, maître manipulateur et mauvais payeur, noircit à chaque scène, et sa sombre fin amène le spectateur à s'interroger sur son propre rapport à la morale, à l'honnêteté, à la respectabilité. 

Une comédie de mœurs dépeint une habitude de vivre, un comportement social et moral. La comédie a alors une intention satirique, polémique ou didactique. Elle dénonce une attitude afin d'éduquer moralement : « castigat ridendo mores », elle corrige les mœurs en riant. Ainsi Dom Juan nous offre des tableaux de la société de son époque. Le tiers-état, d'abord : la cupidité et la crédulité des paysannes, mais aussi la dignité du pauvre ermite ; la maladresse encombrée de Monsieur Dimanche, qui ne parvient pas à réclamer son dû, flatté et étourdi des civilités d'un Dom Juan qui joue sur le complexe d'infériorité du bourgeois du XVII° vis-à-vis du sang bleu ; les valets, enfin, qui singent les manières de leurs maîtres, se vantent d'en être les confidents, tout en se régalant à en dire du mal. Pour finir, et c'est ce qui déclencha le scandale provoqué par cette pièce, et explique son abandon par la troupe de Molière, la pièce critique assez explicitement la noblesse de l'époque. Il la montre athée et dévoyée, libertine et oisive, hypocrite et sadique sous les traits de Dom Juan ; conservatrice et belliqueuse, féodale et relevant de l'hybris, sous les traits de Dom Alonse, pour qui l'honneur exige que l'affront à son nom soit lavé dans le sang ; contrainte à son rôle d'apparat autour du roi, et réduite à lui faire la cour : « l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus ». Enfin, l'acte V offre une piqûre supplémentaire en attaquant assez explicitement le parti des dévots et en rappelant la figure du faux dévot exposée à la censure : l'hypocrite Tartuffe apparaît effectivement dans ce Dom Juan qui feint d'être repenti, et qui explique son choix à Sganarelle : « On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un se les jette tous sur les bras », « Combien crois-tu que j'en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d'être les plus méchants hommes du monde ? » « C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle » (Acte V, scène 2).

Dom Juan, par son propos, est donc bien une comédie, qui aborde le thème traditionnel du mariage, bien que de façon nouvelle, et présente une peinture de la société et des mœurs de son époque. Mais, par d'autres aspects, la pièce s'apparente à une tragédie.


Les motifs de la tragédie


Les thèmes de l'oeuvre, certains dialogues et personnages relèvent par contre bien davantage du tragique. Tout d'abord, Dom Juan se rapproche de la tragédie par le thème de la Fatalité et de la mort du protagoniste, jouet des Dieux. Mais les personnages de la noblesse, notamment, par les valeurs et leurs discours, apportent aussi une tonalité nettement tragique.

Dom Juan un personnage tragique : il est en effet un homme menacé par la Fatalité, comme tout héros tragique, pour toutes les fautes et péchés commis, et, malgré toute l'énergie qu'il déploie pour fuir le châtiment -celui des hommes du moins, puisqu'il semble peut de soucier de la religion, de la foi ou des croyances superstitieuses de son temps-, il n'échappe pas au destin que tous lui promettent : les flammes de l'enfer. La pièce met ainsi un séducteur, véritable chasseur de femmes (« Il ne faut pas que ce cœur m'échappe ») qui est cependant lui-même traqué de toutes parts : poursuivi des ardeurs de son épouse délaissée, Done Elvire, recherché par les frères de celle-ci qui veulent obtenir réparation de l'outrage à leur nom, recherché pour le meurtre impuni du Commandeur, sermonné par un père digne et aimant, mais anxieux et honteux de son fils, aiguillonné par son valet qui ne cesse de l'interroger sur le motif de ses actes, et menacé par tous du châtiment divin, Dom Juan est en vérité un fugitif au-dessus duquel plane l'épée de Damoclès. De plus, il est aussi, comme tout héros tragique, face à un choix à faire entre, d'une part, son plaisir personnel, son libertinage, son goût immodéré pour les femmes et le mensonge, et d'autre part la vie, le respect des normes et conventions de son époque et de son milieu, et le repentir. Enfin, comme tout héros tragique, il donne dans la démesure, et recherche l'absolu, interrogeant et moquant les rites et croyances de ses contemporains, en cynique cartésien.
Les autres personnages de la noblesse, de la même façon, relèvent de la tragédie. Par la qualité de leur langage et des valeurs qu'ils illustrent, tout d'abord, puisqu'ils s'expriment tous en termes d'honneur, de noblesse, de vertu, de justice, et qu'ils se présentent tous comme des victimes involontaires du séducteur, dont les actes salissent leur réputation. Ainsi, Done Elvire et ses frères se voient déshonorés du fait de la traîtrise de Dom Juan, et les codes de la noblesse d'alors les oblige à obtenir publiquement réparation. Chacun de ces personnages se trouve, de plus, dans un dilemme. Dom Carlos, tout gentilhomme qu'il soit, se voit dans l'obligation de provoquer Dom Juan en duel, alors qu'il lui doit la vie. Dom Louis, de la même façon, est tiraillé entre son amour pour son fils unique, et la honte qu'il éprouve à se voir rapporter ses méfaits devant le Roi. Ces deux personnages nous touchent d'autant plus que leurs paroles nous présentent des hommes dignes, dominés par la Raison, pour qui « la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. » Done Elvire, pour finir, se voit déchirée entre la vie qu'elle imaginait auprès de son seigneur d'époux, et l'obligation de retourner finir sa vie au couvent, pour la plus grande honte de son nom, mais elle adopte un comportement rationnel et généreux, faisant grâce à Dom Juan des scènes larmoyantes attendues chez une femme amoureuse et abandonnée.


Par le thème du choix fatal entre le plaisir personnel et le bien commun, entre les passions et la raison, entre l'amour et le devoir, portée par les personnages de la noblesse, et par la présence permanente de l'idée de la Fatalité, qui fait de Dom Juan sa marionnette, la pièce relève donc bien de la tragédie. Mais nous avons vu aussi que, d'autre part, elle mêle à ces passages nobles et sérieux des personnages et actions relevant aussi de la comédie et de la farce. Ce qui nous amène à évoquer, pour définir cette pièce de 1665, un mouvement déjà ancien et quelque peu désuet, le Baroque.


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