Dom Juan est malgré tout un enfant du Classicisme
Le mouvement Classique estime que le rôle de la littérature est de «plaire et toucher», dans l'objectif d'instruire les hommes à la vertu. C'est ainsi qu'il met en scène, que ce soit dans la tragédie, ou dans la comédie, des personnages donnant dans la démesure et qui sont soumis à un traitement exemplaire. Nous verrons que, bien donnant à la fois dans la comédie et la tragédie, cette pièce, dans son propos général, est exemplaire, à plus d'un titre.
Une comédie de caractère et de moeurs « exemplaire »
Selon
Molière, « le
devoir de la comédie
est de corriger
les hommes en les divertissant ».
Par sa satire riante des défauts, des hommes mais aussi de la
société, la comédie présente au public des sujets de réflexion
morale et philosophique. Il s'agit pour le dramaturge, « d'attaquer
par des peintures ridicules, les vices de mon siècle. » En
ceci, Dom Juan est véritablement une peinture provocante des mœurs
de son époque, et si elle présente un protagoniste de haute
naissance, et non un bourgeois comme il est d'usage pour ce genre
théâtral, par son sujet et sa fin « heureuse », qui
voit le châtiment du libertin rétablir l'ordre et la morale, Dom
Juan est bien la comédie « exemplaire » qui est
annoncée.
Une
comédie de caractère
est centrée sur une personnalité complexe, affecté d'un vice
dangereux et destructeur qui l'exclut du monde, comme le sont
l'Avare,
le
Misanthrope,
Le
malade imaginaire,
Le Bourgeois Gentilhomme, Tartuffe.
Ainsi Dom Juan nous présente un noble dévoyé, oisif et libertin,
athée, qui se défie des conventions sociales, du mariage comme du
caractère sacré de la parole, du respect dû à son rang, à ses
ancêtres, à son père, comme de celui que tout homme, qu'il soit
« homme d'honneur » ou « honnête homme »
doit à l'Eglise et à Dieu. Dom Juan, « épouseur à toutes
mains », qui sans distinction se marie avec « Dame,
demoiselle, bourgeoise, paysanne », et athée, est « un
hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui
passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en
vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances
qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous
croyons. " Sa
passion pour les femmes, et son peu d'attachement au sacrement du
mariage, et à tout ce que ce dernier représente comme norme
sociale prédominante, l'isolent progressivement et font de lui un
intrus, un individu indésirable, qu'on doit neutraliser ou faire
disparaître. S'il est oppressé de toutes parts, et acculé à
faire paraître son repentir pour les actions passés, Dom Juan
affirme sa volonté de poursuivre son mode de vie, ce qui provoque
sa perte brutale et rapide. La pièce, en ce sens, nous offre donc
bien une satire de l'hypocrisie du libertin, qui use du langage
comme d'un masque et se joue de tous ses interlocuteurs pour en
tirer le parti qu'il souhaite. Le portrait du « grand seigneur
méchant homme », séducteur sadique, veule et indigne fils
menteur, maître manipulateur et mauvais payeur, noircit à chaque
scène, et sa sombre fin amène le spectateur à s'interroger sur
son propre rapport à la morale, à l'honnêteté, à la
respectabilité.
Une
comédie de mœurs
dépeint une habitude de vivre, un comportement social et moral. La
comédie a alors une intention satirique, polémique ou didactique.
Elle dénonce une attitude afin d'éduquer moralement : «
castigat ridendo
mores
», elle corrige les mœurs en riant. Ainsi Dom Juan nous offre des
tableaux de la société de son époque. Le tiers-état, d'abord :
la cupidité et la crédulité des paysannes, mais aussi la dignité
du pauvre ermite ; la maladresse encombrée de Monsieur
Dimanche, qui ne parvient pas à réclamer son dû, flatté et
étourdi des civilités d'un Dom Juan qui joue sur le complexe
d'infériorité du bourgeois du XVII° vis-à-vis du sang bleu ;
les valets, enfin, qui singent les manières de leurs maîtres, se
vantent d'en être les confidents, tout en se régalant à en dire
du mal. Pour finir, et c'est ce qui déclencha le scandale provoqué
par cette pièce, et explique son abandon par la troupe de Molière,
la pièce critique assez explicitement la noblesse de l'époque. Il
la montre athée et dévoyée, libertine et oisive, hypocrite et
sadique sous les traits de Dom Juan ; conservatrice et
belliqueuse, féodale et relevant de l'hybris,
sous les traits de Dom Alonse, pour qui l'honneur exige que
l'affront à son nom soit lavé dans le sang ; contrainte à
son rôle d'apparat autour du roi, et réduite à lui faire la
cour : « l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les
vices à la mode passent pour vertus ». Enfin, l'acte V offre
une piqûre supplémentaire en attaquant assez explicitement le
parti des dévots et en rappelant la figure du faux dévot exposée
à la censure : l'hypocrite Tartuffe apparaît effectivement
dans ce Dom Juan qui feint d'être repenti, et qui explique son
choix à Sganarelle : « On lie, à force de grimaces, une
société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un se
les jette tous sur les bras », « Combien crois-tu que
j'en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement
les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du
manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la
permission d'être les plus méchants hommes du monde ? »
« C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes,
et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle »
(Acte V, scène 2).
Dom
Juan, par son propos, est donc bien une comédie, qui aborde le thème
traditionnel du mariage, bien que de façon nouvelle, et présente
une peinture de la société et des mœurs de son époque. Mais, par d'autres aspects, la pièce s'apparente à une tragédie.
Les
thèmes de l'oeuvre, certains dialogues et personnages relèvent par
contre bien davantage du tragique. Tout d'abord, Dom Juan
se rapproche de la tragédie par le thème de la Fatalité et
de la mort du protagoniste, jouet des Dieux. Mais les personnages de
la noblesse, notamment, par les valeurs et leurs discours, apportent
aussi une tonalité nettement tragique.
Dom
Juan un personnage tragique : il est en effet un homme
menacé par la Fatalité, comme tout héros tragique, pour
toutes les fautes et péchés commis, et, malgré toute l'énergie
qu'il déploie pour fuir le châtiment -celui des hommes du moins,
puisqu'il semble peut de soucier de la religion, de la foi ou des
croyances superstitieuses de son temps-, il n'échappe pas au destin
que tous lui promettent : les flammes de l'enfer. La pièce met
ainsi un séducteur, véritable chasseur de femmes (« Il ne
faut pas que ce cœur m'échappe ») qui est cependant lui-même
traqué de toutes parts : poursuivi des ardeurs de son épouse
délaissée, Done Elvire, recherché par les frères de celle-ci qui
veulent obtenir réparation de l'outrage à leur nom, recherché
pour le meurtre impuni du Commandeur, sermonné par un père digne
et aimant, mais anxieux et honteux de son fils, aiguillonné par son
valet qui ne cesse de l'interroger sur le motif de ses actes, et
menacé par tous du châtiment divin, Dom Juan est en vérité un
fugitif au-dessus duquel plane l'épée de Damoclès. De plus, il
est aussi, comme tout héros tragique, face à un choix à faire
entre, d'une part, son plaisir personnel, son libertinage, son goût
immodéré pour les femmes et le mensonge, et d'autre part la vie,
le respect des normes et conventions de son époque et de son
milieu, et le repentir. Enfin, comme tout héros tragique, il donne
dans la démesure, et recherche l'absolu, interrogeant et moquant
les rites et croyances de ses contemporains, en cynique cartésien.
Les motifs de la tragédie
Les
autres personnages de la noblesse, de la même façon, relèvent de
la tragédie. Par la qualité de leur langage et des valeurs qu'ils
illustrent, tout d'abord, puisqu'ils s'expriment tous en termes
d'honneur, de noblesse, de vertu, de justice, et qu'ils se
présentent tous comme des victimes involontaires du séducteur,
dont les actes salissent leur réputation. Ainsi, Done Elvire et ses
frères se voient déshonorés du fait de la traîtrise de Dom Juan,
et les codes de la noblesse d'alors les oblige à obtenir
publiquement réparation. Chacun de ces personnages se trouve, de
plus, dans un dilemme. Dom Carlos, tout gentilhomme qu'il soit, se
voit dans l'obligation de provoquer Dom Juan en duel, alors qu'il
lui doit la vie. Dom Louis, de la même façon, est tiraillé entre
son amour pour son fils unique, et la honte qu'il éprouve à se
voir rapporter ses méfaits devant le Roi. Ces deux personnages nous
touchent d'autant plus que leurs paroles nous présentent des hommes
dignes, dominés par la Raison, pour qui « la
naissance n’est rien où la vertu n’est pas. »
Done Elvire, pour finir, se voit déchirée entre la vie qu'elle
imaginait auprès de son seigneur d'époux, et l'obligation de
retourner finir sa vie au couvent, pour la plus grande honte de son
nom, mais elle adopte un comportement rationnel et généreux,
faisant grâce à Dom Juan des scènes larmoyantes attendues chez
une femme amoureuse et abandonnée.
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